EMMAÜS Société Anonyme


Camps de fortune Emmaüs | Noisy-le-Sec


« Je m’inquiète d’une société qui consomme si avidement l’affiche de la charité qu’elle en oublie de s’interroger sur ses conséquences, ses emplois et ses limites. J’en viens à me demander si la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre n’est pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice. »

Roland Barthes
Mythologies | 1957

« Comme en 1954 où l'abbé Pierre avait lancé son appel, il nous faut aujourd'hui un vrai  choc de la solidarité » : 

La ministre du Logement Cécile Duflot ne déroge pas au traditionnel appel type hiver 54, [1] un rituel hivernal déclaré par quantité de ministres, lors de crise grave ou d'hiver trop rude, prouvant ainsi autant leur compassion - saisonnière -, que leur échec -permanent - à pouvoir - vouloir - mettre fin à une injustice fondamentale, emportant chaque hiver son lot de morts de froid.  Sa déclaration assortie d'une critique sévère contre l'archevêché de Paris, de ne pas venir en aide hivernale aux sans-abris, fait directement référence à l'Appel de l'abbé Pierre de l'hiver 54, annoncé par les quotidiens de l'époque comme étant une « insurrection de la bonté ». Ainsi près de soixante années séparent l'« insurrection de la bonté » du « choc de la solidarité », et l'on peut juger, des méthodes aujourd'hui rétrogrades et démagogiques, de la continuité idéologique d'une « fausse conscience » conservatrice et bourgeoise, ne proposant aucune alternative innovante, aucun nouvel instrument d'équilibre social [iste], qu'il soit du domaine législatif ou architectural, et aucun changement de "méthode" pourtant nécessaire avec les sombres prévisions du ministère de l'Economie pour les prochaines années. Il s'agit toujours de modèles élaborés à partir de la crise et non, abstraitement, contre la crise.


Cette demande inversée donc, - l'Etat interpelle l'Eglise - nous interroge sur la volonté du gouvernement socialiste, à s'engager dans une politique pour le droit vital au logement, en faisant un tel appel à la charité chrétienne : une initiative qui, l'histoire n'est pas muette depuis 1954, n'a jamais résolu le problème de l'habitat social, pour les plus démunis, ni même protégé ceux qui risquaient de l'être ; de même, les menaces de réquisitions forcées brandies par la ministre, comme le squat « social » de notre abbé, sont à considérer comme des instruments dérisoires, inefficaces face à l'enjeu, et bien plus que cela, inhumains dans leur essence. Ainsi, la « fausse conscience » des élites préfère-elle construire à Paris :
  • un nouveau Palais de justice pour un montant de 2,7 milliards d'euros [un contrat de partenariat public privé avec Bouygues, prévoit que l'Etat lui versera pendant 27 ans un loyer avant de devenir propriétaire] ;
  • un nouveau ministère de la Défense d'un coût pharaonique de 4,2 milliards d'euros [un contrat de partenariat public privé avec Bouygues, prévoit que l'Etat lui versera un loyer de 154 millions d'euros durant 27 ans avant de devenir propriétaire] ;
  • un grand équipement musical, le philharmonique d'un coût estimé à 400 millions d'euros, qui est, selon Aurélie Filippetti, ministre de la Culture : « un projet extrêmement important et structurant pour la filière musicale, pour l’affirmation de la place de Paris comme un grand lieu symphonique. […] Cette ouverture sur l’est de Paris et sur la banlieue est un précieux atout dans notre politique en faveur de la démocratisation de l’accès à la musique classique.»

Ce « choc de la solidarité » fait référence, non pas à l'Esprit éclairé du siècle des Lumières, mais à celui plus obscur du 13e siècle, aux Ordres mendiants Dominicain et Franciscain. A moins qu'il ne s'agisse d'engager la France dans la voie historique britannique ou nord-américaine, d'un désengagement de l'Etat, compensé - ou tentant de l'être - par la philanthropie [une forme de redistribution peu courante en France] et les actions des ONG, selon leur bon vouloir pour les uns, leur bonne volonté pour les autres - dont les ancêtres communs sont ces mêmes Ordres mendiants... qui ont abandonné leur vocation première, et les gueux à leur sort, affirme Cécile Duflot.

L'abbé Pierre en 1954, considéré comme « un saint François d’Assise moderne », perturba la quiétude et les règles de l'Eglise, et fera de la charité chrétienne - et non de la justice sociale - un commerce profitable, encore plus prononcé après sa mort survenu en 2007 : Emmaüs aujourd'hui se décompose en plusieurs organisations nationales et internationales, employant des centaines de salariés – ceux de l'Association Emmaüs se sont mis en 2010 en grève pour protester contre leurs conditions de travail et leurs salaires dérisoires -, tandis que Emmaüs Habitat, (anciennement HLM Emmaüs), une société de gestion de HLM, n'hésite pas à expulser les locataires refusant les augmentations de loyer et des charges (voir dernier chapitre).

L'abbé Pierre fut dès sa spectaculaire médiatisation en 1954, l'objet des plus vives critiques de la part des organisations de la Gauche radicale puis de la Nouvelle Gauche, accusé de venir se vautrer avec ses compagnons sur la misère. Dès 1954, Guy Debord, dans la revue Potlatch mène l'attaque :


FLIC ET CURÉ SANS RIDEAU DE FER

Chaplin, en qui nous dénoncions dès la sortie tapageuse de Limelight « l’escroc
aux sentiments, le maître chanteur de la souffrance », continue ses bonnes oeuvres.
On ne s’étonne pas de le voir tomber dans les bras du répugnant abbé Pierre pour lui
transmettre l’argent « progressiste » du Prix de la Paix. Pour tout ce monde le travail est le même : détourner ou endormir les plus pressantes revendications des masses.
La misère entretenue assure ainsi la publicité de toutes les marques : la Chaplin’s
Metro-Paramount y gagne, et les Bons du Vatican.

POTLATCH |Bulletin d’information du groupe français de l’Internationale lettriste.
N° 13 – 23 octobre 1954


LA FORME D’UNE VILLE CHANGE PLUS VITE

La plus belle partie du square des Missions Étrangères (voir Potlatch, n° 16) abrite
depuis cet hiver un certain nombre de roulottes-préfabriquées qui évoquent les
mauvais coups de l’Abbé Pierre.

POTLATCH |Bulletin d’information du groupe français de l’Internationale lettriste.
N° 25 – 26 janvier 1956


LA FAUTE DE L'ABBE PIERRE ?




CAMP DE FORTUNE EMMAUS NOISY-LE-SEC


CITE D'URGENCE EMMAUS HAM



CITE D'URGENCE EMMAUS | PLESSIS-TREVISE


En 1954, pour l'abbé Pierre, alors député, il doit s'agir d'offrir un abri – provisoire - immédiatement, quel qu'en soit sa nature : squat social, hangar réquisitionné, tente, roulotte, etc. Mais les dons affluent, et la somme dont il peut disposer est, quelques jours seulement après son appel, considérable. Une semaine après l'appel, le 8 février, l'abbé lance la construction d'une première cité d'urgence : la Cité de la Joie et ses 250 maisonnettes au Plessis-Trévise, conçue par l'architecte Pierre Dufau ; l'architecte se souvient que « le site, imposé par l'Abbé Pierre est catastrophique : en pleine forêt humide, loin de tout et... en pente. L'Abbé veut des hangars et un poêle au milieu. » C'est avec le soutien du Ministère, que Pierre Dufau impose ses conceptions architecturales – dont un « coin » d'eau faisant office de salle de bains - qui seront reprises par la suite pour d'autres cités d'urgence. 

Article de 1945 : Solutions d'urgence 




















Pour beaucoup, le minimalisme de l'abbé est considéré comme une architecture de la survie humanitaire, et ces camps de fortune comme ces cités d'urgence sont autant de ghettos sociaux, assurant le minimum vital, et qui loin d'être « provisoires » vont perdurer dans le temps, intactes jusqu'en 2010, pour certaines. De même que l'on reprocha à l'abbé Pierre, outre le fait de détourner de la Révolution les masses opprimées, d'avoir contribué plus que largement à l'avènement de l'architecture inhumaine des grands ensembles d'habitations, d'avoir accéléré les rouages des institutions de l'État pour leur construction, opérée dans l'urgence.

Ce qui n'est pas tout à fait exact, car en effet, le logement était bien alors une “affaire d'État”, bien avant 1954, même si la priorité des premières années de reconstruction post seconde-guerre mondiale était consacrée à l'équipement national et aux activités industrielles. De multiples incitations le prouvent : organisation de concours et développement d'opérations expérimentales ; primes à la construction comme celle en 1953, du plan Courant – du nom du ministre du Logement – et l'obligation faite aux entreprises de plus de dix employés de consacrer 1 % de leur masse salariale à la construction de logements ; création de la Société civile et immobilière de la Caisse des dépôts et Consignations, qui va réaliser des milliers de logements ; ou bien encore, dans un autre registre, le Salon des Arts ménagers qui annuellement se tient au Grand Palais à Paris. De même, les architectes dès la fin de la guerre imaginaient des habitations d'urgence provisoires pour les sans-abris, victimes des destructions dues aux bombardements. Fort de ses expériences, en 1956, le plus que talentueux Jean Prouvé, pour répondre à la demande de l'abbé, conçoit et réalise en six semaines la maison Les Jours meilleurs, qui est montée en quelques heures sur les quais de la Seine à Paris.






En 1956, l'abbé Pierre, ou plus exactement la Société d'habitations à loyers modérés (HLM) Emmaüs, du nom des communautés fondées pour venir en aide aux plus démunis, fait appel aux jeunes architectes du groupe ATIC [Atelier pour l'industrialisation de la construction] et du célèbre ingénieur Jean Prouvé, pour réaliser un des premiers ensembles de 190 logements à Argenteuil. Une opération plus élaborée que celles minimales de Pierre Dufau, mais dont les prestations étaient réduites au minimum pour des raisons évidentes d'économie : on préfère la quantité de logement au fort détriment de la qualité architecturale. Elle préfigure ou précède de peu la recherche d'économie maximum faite par les constructeurs-promoteurs de l'époque tel que Bouygues. Car selon les décideurs, dans une situation de crise endémique, analyse l'historien de l'architecture Jacques Lucan, « les bonnes volontés ne peuvent cependant pas suffire. Pour enrayer la crise, on le sait depuis longtemps, il n'est pas d'autre moyen que d'industrialiser la construction. »  Les constructeurs-promoteurs en feront une source inestimable de revenus, de rentes et de bénéfices. 

Dans un sens, les formules de minimalisme et d'urgence ou de pragmatisme de l'abbé Pierre, s'opposent à la célèbre invective de Le Corbusier : Architecture ou Révolution, pour qui la plus haute qualité architecturale, la grande surface des logements, la nature des espaces communs doivent prévaloir, être exigées autant pour le confort que pour le nécessaire bien-être moral des habitants. Ce ne sera pas la révolution, mais le cycle amorcé dans les années 1980 des violentes émeutes des grandes cités d'habitat social donneront raison à l'architecte. 


LE COMITÉ DES MAL-LOGÉS

Le Comité des mal-logés (CML) est créé au début de l'année 1987 par des militants d'"extrême-gauche", dans la foulée d'une mobilisation initiale pour le relogement des familles sinistrées d'incendies d'hôtels meublés du 20e arrondissement — incendies dont plusieurs sont d'origine criminelle. Il rassemble à son apogée, au printemps 1990, autour de 1300 adhérents, pour la plupart des familles africaines. En octobre 1990 Jean-Baptiste Eyraud quitte le Comité des Mal-Logés pour fonder l'association Droit Au Logement. En 1994, Le Comité des Mal-Logés s'autodissout.

Un long passage est accordé aux pratiques des compagnons d'Emmaüs – qu'ils côtoient régulièrement – dans une brochure qu'ils éditent en 1991.



L'ABBÉ PIERRE ET LES EMMAÜS

Leur rôle, comme leur histoire et leurs pratiques constantes le démontrent depuis leur origine, est d'éviter qu'il se creuse un fosse entre le prolétariat et la bourgeoisie, fossé qui s'il s'accentuait la mettrait de fait en danger. 1945, le pays est prêt a être reconstruit. La bande à bourgeois a réussi son cyclique tour de passe-passe magique qui vise a transformer, par le biais d'une guerre, sa perte d'accumulation de capital, en marchés à nouveau réouverts et en misère humaine grandissante. 1945, à nouveau l'exploitation du monde du travail peut reprendre dans les meilleures conditions. Et comme le disait le camarade Maurice, alors au Gouvernement : « la grève c'est l'arme des trusts ».

Dans ce contexte de restrictions, de rationnement, de précarité absolue que connaissait des centaines de milliers de prolétaires, des luttes et des mouvements sociaux apparaissent, qui connaitront leur apogée et finalement leur écrasement dans les années 1951-1958. Au milieu de tous ces prolétaires, qui soit tentent de s'organiser et de lutter, soit se replient dans une soumission a la fatalité diabolique de la misère, l'Abbé Pierre ex-député et d'autres prêtres lancent les communautés de survie, les chiffonniers d'Emmaüs. Dans un environnement de bouillonnement social où beaucoup de travailleurs encore croyaient a la possibilité d'une reconquête de leurs droits et donc d'un bouleversement social, l'Abbé et ses premiers compagnons viennent se vautrer sur la misère. Il s'agit dans leurs conceptions d'éviter a tout prix que des prolétaires pris a la gorge et n'ayant plus d'autre choix pour survivre que la révolte voire la révolution, trouvent dans l'organisation d'une survie moins misérable des raisons de patienter et de ne pas franchir le pas. En faisant appel a des valeurs réactionnaires considérées comme nobles telles que la rédemption par le travail, le libre arbitre, la bonté et le pardon, ils organisent des « déshérites ou laisses pour compte » toujours de sexe masculin et sans attaches dans des communautés autarciques et de fait coupées de la réalité sociale.

Ce sont ces communautés qui leur permettent de structurer des zones de survie en 1954, dans les environs immédiats des quartiers les plus dévastes et touchés par la crise (ce sont de véritables villages de lentes installes dans des terrains vagues) appelant la bourgeoisie, les classes moyennes et les ouailles de toutes les paroisses de France a soulager un peu de misère afin d'éviter l'explosion.

Emmaüs n'est rien d'autre qu'un rouage critique mais intègre du système capitaliste.

Auparavant, certains travailleurs mal-loges ayant connaissance de l'ordonnance du 19 Octobre 1945 instituant le droit de réquisition des logements vacants au profit des sans logis, mais qui était restée quasiment sans application dans certaines grandes villes, occuperont collectivement et populairement des 1947 des villas, appartements, et immeubles. Des militants audacieux, par leur action, permirent a plus de 5000 familles de se reloger à Marseille, Nice, Lille, Rouen, Angers. À la traine de ces mouvements sporadiques et pas toujours organisés, l'Abbé et ses compagnons à partir de leurs bases d'implantation, feront parti en 1954 (grâce à leur logistique) en créant des rapports de dépendance matérielle, d'un soutien mou a ces réquisitions.


C'est dans cette situation que des familles se verront inculpées a de nombreuses reprises par les pouvoirs judiciaires et que toute ouverture de porte devra par la suite recevoir l'aval ou le soutien des « curés anarchisants ». Le pouvoir peut alors transformer le grand élan populaire de soutien, en mouvement d'opinion et de compassion pour ces « pauvres sans logis » qui se révoltaient. Une insurrection populaire urbaine qui couvait pouvait alors être transformée par le pouvoir politique en « insurrection de la bonté ». La France pleurait dans les chaumières sur ces enfants morts de froid pendant cet hiver 53-54. Combien y en avait-il eu avant? L'hiver était rude. l'Abbé veillait ; et le problème du nécessaire logement des travailleurs ne se posait plus en termes de structures économiques à bouleverser. La petite bourgeoisie et les bourgeois n'avaient plus a craindre qu'une révolte des gueux ne leur ôte leurs privilèges.


C'est bien dans le même sens que l'Abbé et sa logistique sortiront de leur retraite au moment de l'occupation du square de la Réunion. L'objectif en était bien, comme à l'accoutumé, de briser, de noyer ou de marginaliser la lutte de classe impulsée par le Comité des Mal-Loges sur le logement, pour prendre la direction médiatique et politique de celle-ci. Le pouvoir pouvait se permettre de dire qu'il relogeait des « pauvres familles sans abris dormant sur le sable, au 20e siècle, pour raisons humanitaires », certainement pas de laisser l'exemple d'une lutte revendicative, de travailleurs Mal-Loges, qui paie. Ce sont, par exemple les responsables d'Emmaüs qui au travers de l'A.R.I.L. (Association pour le Relogement en Île-de-France est une structure mise en place par le Gouvernement, sous couvert de gestion sociale, pour orienter les dossiers de demandes de logements 'pris en compte' par les Préfectures, dans un objectif certain qui est de calmer les 'remous' pouvant exister dans ce domaine ! ) gèrent jusqu'au bout une partie des dossiers de relogements et notamment les baux glissants. Dans un autre registre ce sont également eux qui sont responsables pour une partie de la « distribution » du R.M.l.. Ce sont eux qui auront tente jusqu'au bout encore de s'imposer dans la lutte par le biais du paiement de nourriture et de tentes, objectifs toujours contrariés, même imparfaitement par le C.M.L. Les travailleurs Mal-Loges ne réclament pas l'aumône (les moyens matériels de survivre sous une tente) mais l'obtention d'un droit réel à un logement.


A la suite de la place, lors des différentes actions du Comité des Mal-Loges consécutives a de nouvelles expulsions (oct-nov 1990), comme l'implantation de la tente de la Mairie du 18e, les compagnons de l'Abbé feront systématiquement le forcing auprès du C.M.L. afin d'organiser une réquisition d'hôpital désaffecté pour y loger les familles qui risquaient de se faire expulser. Proposition bien évidement refusée en assemblée générale par ses membres. Lorsque l'on réclame des logements décents, ce n'est pas en organisant des solutions de précarité absolue (des asiles pour clochards, exemple classique) que les familles de travailleurs obtiendront leurs droits. La seule réquisition possible c'est celle de logements qui nous sont dus.

Quand au fonctionnement interne de leurs troupes, nous avons pu constater qu'un de leurs compagnons, conducteur d'un des camions qui nous livra les tentes, par le fait qu'il se rapprochait du point de vue de la lutte du Comité des Mal-Loges se verra à titre punitif, 'déclassé', retiré de la place et envoyé au tri de la ferraille durant une quinzaine de jours. Bonjour les scouts ! Mais lors des deux interventions musclées des C.R.S. (l'une lors du déchargement des tentes, l'autre lors de la tentative d'expulsion d'un squatt de jeunes de la rue Ligner) les responsables d'Emmaüs feront partie des résistants et se prendront, avec autant de courage que d'humilité, de violents coups de matraque ; ça rapproche du peuple !



L’ABBÉ PIERRE ET LES BRIGADES ROUGES ITALIENNES

Mal-aimé par les groupes de la Gauche radicale, l’abbé Pierre a été paradoxalement l'un des plus ardents défenseurs des groupes révolutionnaires italiens, notamment ceux réfugiés en France, rappelle en 2007 le quotidien italien Corriere della Sera : « L’abbé Pierre serait celui qui aurait convaincu le président Mitterrand de protéger les brigadistes rouges ayant fui l’Italie. » Le juge Carlo Mastelloni, interviewé par le quotidien, se souvient de l’abbé Pierre au tribunal de Venise au milieu des années 1980, venu prendre la défense du groupe de terroristes italiens réfugiés à Paris, parce que, disait-il, « ils sont persécutés par la droite » ; « L’Abbé Pierre était venu de France pour témoigner spontanément en faveur du groupe d’Italiens de Paris qui tournaient autour de l’école de langues Hypérion ». Cet institut de langue, dirigé par l’Italien Vanni Mulinaris, a été soupçonné par la justice italienne d’être lié aux « cerveaux » des Brigades Rouges. Rien n’a jamais pu être prouvé en ce sens et La Repubblica rappelle que tous les inculpés ont été acquittés. En 1983, l’Abbé Pierre était allé chez le président de la République italienne Sandro Pertini plaider la cause de Vanni Mulinaris, incarcéré sous l’inculpation d’assistance aux BR, et en mai 1984 il avait même observé huit jours de grève de la faim pour dénoncer les conditions de détention des « brigadistes » dans les prisons de la Péninsule. Le juge Mastelloni rappelle qu’une nièce de l’Abbé Pierre était secrétaire à Hypérion et mariée à l’un des Italiens alors recherchés par la justice de son pays.


L’agence Ansa a de son côté évoqué l’intervention de l’Abbé Pierre en faveur d’un de ses médecins, Michele D’Auria, ancien membre d’un autre groupe d’extrême gauche italien, Prima Linea, accusé d’avoir participé à des hold-up en 1990, et qui avait trouvé refuge en France. L’Abbé Pierre avait jeûné 48 heures en juin 2005 pour soutenir Michele d’Auria, poursuivi en France pour exercice illégal de la médecine. Le Dr d’Auria, que la justice française a finalement acquitté, s’était servi du nom d’un autre médecin italien, Antonio Canino, en vue de travailler pour l’association Emmaüs, et était le médecin personnel de l'abbé Pierre.

Le scandale vint non pas de cette attention accordée à des « terroristes rouges » mais lorsque l'abbé apporta son soutien au bouquin négationniste de son ami Garaudy. Certains journalistes de l'époque jugeaient – en exagérant - ainsi que son éducation dans l'antijudaïsme catho de l'entre-deux-guerres s'était conjugué avec l'antisionisme de l'extrême gauche, un antisémitisme résolument pro-palestinien. Ne craignant pas d'écrire, en 1991 : « Je constate qu'après la formation de leur Etat, les Juifs, de victimes, sont devenus bourreaux. Ils ont pris les maisons, les terres des Palestiniens.»


EMMAÜS SOCIÉTÉ ANONYME


Benoit Le Corre et Ophelia Noor
OWNI
15 février 2012

Emmaüs, créée par l'Abbé Pierre pour défendre les mal-logés, ne fait pas que dans l'humanitaire. Propriétaire de 13 000 logements sociaux, sa filiale commerciale, Emmaüs SA Habitat, n'a rien à envier aux bailleurs privés. Hausses brutales des loyers, injonctions d'huissiers... OWNI a enquêté à Montreuil où Emmaüs demande l'expulsion de huit locataires.

À la demande de la société Emmaüs Habitat, huit locataires d’une résidence de Montreuil, en région parisienne, devaient comparaître mardi 14 février devant le Tribunal d’Instance de cette ville pour non paiement de loyers. Les conclusions remises au juge mentionnent une demande d’expulsion :
Emmaüs Habitat a saisi le tribunal pour (…) ordonner l’expulsion, tant du logement que de tous les locaux accessoires, de Monsieur et Madame X ainsi que de toutes les personnes dans les lieux de leur chef et ce, avec le concours de la force publique ainsi que d’un serrurier s’il y a lieu.

Sur demande de l’avocate des locataires, Sandra Herry, l’audience d’hier a été reportée au 22 mai 2012 pour des questions de procédure. Derrière l’apparente simplicité de l’affaire – un propriétaire exige l’expulsion de locataires qui n’honoreraient pas leurs loyers – se dissimulent des réalités plus complexes. Qui révèlent une facette étonnante du bailleur social.

13 000 logements

Début 2000, la barre d’immeubles situés aux 9, 11, 13, 15 et 17 rue Gaston Monmousseau, dans le nord de Montreuil, cherche un nouvel acquéreur. Le lot comprend 83 logements d’une surface inégale. Emmaüs Habitat, une société anonyme créée en 1954 par l’abbé Pierre et spécialisée dans la réhabilitation et la gestion d’HLM, exprime son intérêt lors d’une réunion publique en mars 2000. À l’époque, Emmaüs Habitat ne gère pas encore les 13 000 logements sociaux locatifs et la trentaine de résidences sociales actuels. Rue Gaston Monmousseau, des locataires tel Jean-Pierre Rougiet, aujourd’hui âgé de 62 ans, s’en réjouissent : “On s’est dit ‘chouette’, ce sont des gens sérieux, comme le bonhomme à béret”.

Une convention est signée avec l’État le 7 février 2001. Dans la foulée, le 25 avril 2001, une lettre est déposée dans chaque boîte aux lettres. Y sont décrits les futurs travaux de rénovation ainsi que la mention “leur réalisation n’entraînera aucune hausse de votre loyer”. A cet instant, Saadia Trebol, l’une des locataires aujourd’hui assignée en justice par Emmaüs Habitat, se satisfait : “Ça voulait dire qu’ils allaient remettre l’immeuble aux normes sans qu’on en fasse les frais”. Une aubaine pour cette femme au foyer qui dispose uniquement du salaire de son compagnon pour régler le loyer. Une phrase l’intrigue pourtant : “A l’issue de ces travaux, soit vraisemblablement en janvier de l’an prochain, c’est la législation HLM qui s’appliquera à votre résidence et vous serez alors amenés à signer un nouveau bail”.

Fin 2002, des courriers arrivent. Les locataires découvrent leurs loyers. Un retraité a vu sa location passer de 438 euros par mois à 601 euros. Pour Reine Belaïd, âgée de soixante-dix ans, la hausse a atteint les 48%. Elle fait partie des douze locataires qui ont connu une augmentation bien plus forte que la moyenne.

Boycotter

Conjointement avec la Confédération nationale du logement (CNL), la principale association défenseure des locataires en région parisienne, les voisins créent “l’Amicale des locataires Monmousseau”. Premier objectif : comprendre “pourquoi les loyers ont augmenté de la sorte”, dixit Saadia Trebol. Sur la convention passée avec l’Etat, Emmaüs Habitat informe que les loyers peuvent être majorés au maximum de 33 %. Or, certaines augmentations atteignent presque 50 %.

Les locataires décident de boycotter la hausse, tout en continuant de payer les loyers initiaux, dans l’attente de négociations avec Emmaüs Habitat. Selon Me Herry, avocate des locataires, rencontrée à son cabinet :

Alors que des discussions étaient en cours, en septembre 2003, Emmaüs Habitat s’est mis à assigner certains locataires en expulsion.

En première ligne se trouve Saadia Trebol, alors présidente de l’Amicale (elle le restera jusqu’en 2007). Un huissier se rend à son domicile pour lui délivrer une assignation. Coup de théâtre. Quelques jours avant l’audience, elle reçoit un coup de téléphone d’Emmaüs Habitat : “Ne vous déplacez pas, c’est une erreur de notre part”. “J’étais contente, j’ai demandé si c’était possible d’avoir cette déclaration par écrit”, explique-t-elle. La société lui concède :
Le tribunal constate que “le demandeur Emmaüs a déclaré expressément, à l’audience, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l’instance, la dette étant soldée”. Une heureuse nouvelle pour les locataires, qui voient en ce désistement la preuve de l’augmentation injustifiée des loyers. Et un retour à la “normale”. A priori.

Emmaüs Habitat joue les prolongations

Une semaine plus tard, les loyers qui tombent sont les mêmes. L’erreur, pourtant admise par Emmaüs Habitat, n’a induit aucun changement. Les locataires et Emmaüs n’arrivent pas à entamer des négociations. Les deux parties rejettent successivement des protocoles à l’amiable. Certains locataires acceptent l’augmentation de loyers, comme Reine Belaïd, qui ne “supportait plus de voir les dettes s’accumuler sur ses quittances”. D’autres, les irréductibles, poursuivent le boycott. “On a toujours pas de bail signé avec Emmaüs, souligne Jean-Pierre Rougiet. Alors on fait un peu notre cuisine avec les loyers”. Le retraité paie l’augmentation annuelle du loyer tout en boudant les charges qui lui semblent indues. Selon la “cuisine” mijotée par les locataires, les dettes s’élèvent de 5000 à 30 000 euros.

En 2008, Emmaüs Habitat réassigne les locataires en expulsion. Un huissier se déplace, encore une fois, à domicile. Rebelote. Quelques jours avant l’audience, les locataires apprennent d’Emmaüs Habitat que la procédure est mort-née :
A ce stade, cela commence à faire beaucoup d’erreurs”, témoigne l’avocate Sandra Herry. Selon elle, il pourrait s’agir d’une technique d’intimidation censée décourager les derniers locataires résistants. “Psychologiquement, c’est très dur de recevoir un huissier chez soi”, convainc Saadia Trebol. Ultime procédure d’expulsion en octobre 2011, reportée une première fois au 14 février 2012, qui vient donc d’être décalée au 22 mai.

Procès-verbaux

Frédéric Capet, de la CNL, conseille “l’Amicale des locataires Monmousseau” depuis plusieurs années. Ses demandes sont sans équivoque : “On veut une remise à zéro des compteurs” et la régulation de tous les loyers. Rejetées par Paul-Gabriel Chaumanet, avocat d’Emmaüs Habitat :
Il s’agit d’une affaire juridique complexe. Il n’y a pas de bons ou de méchants.

Dans les conclusions qu’il a remises aux magistrats, il invoque à plusieurs reprises la mauvaise foi des huit locataires. Il rappelle que “60 % des locataires voient leur loyer diminuer, et ce, de manière non négligeable dans de nombreux cas”. Selon lui, citant la jurisprudence, “les augmentations des loyers décidées en l’espèce (…) procèdent de la nécessité de financer les travaux d’amélioration réalisés – la subvention de l’Etat ne pouvant évidemment y suffire”. Il écrit encore : “avec un certain aplomb, les locataires ne craignent pas d’oser prétendre que les travaux réalisés dans le courant de l’année 2002 ne sont pas encore achevés en 2012″, alors que les procès verbaux ont fait foi de l’achèvement des travaux.

Selon l’ancien député-maire de l’époque, Jean-Pierre Brard, membre du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), la mauvaise foi incombe plutôt à Emmaüs Habitat. “Là où on a été abusé, c’est le décalage entre l’image d’Emmaüs et la réalité. Pour les locataires, comme pour moi, la reprise par Emmaüs était un facteur de tranquillité. Leur objectif ne peut pas être la rentabilité au sens financier (…) Emmaüs n’a pas vocation à dégager des excédents comme n’importe quelle société cotée au CAC 40 !” Jean-Pierre Brard a d’ailleurs adressé une lettre à la directrice générale d’Emmaüs Habitat :

Le plus insupportable dans cette affaire, est le décalage entre le discours national d’Emmaüs et vos pratiques vis-à-vis de vos locataires. Un certaine nombre de faits m’ont été rapportés, tels que des pressions ou des harcèlements moraux sur les locataires. Certains, sous contraintes psychologiques, ont dû signer des reconnaissances de dettes.

Contacté à plusieurs reprises, Emmaüs Habitat n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Uniques déclarations de son avocat : “On n’est pas au stade de l’expulsion (…) Ce n’est pas dans la tradition d’Emmaüs de procéder à des expulsions”. Dans son dernier rapport sur le logement, la Fondation Abbé-Pierre estime de son côté :

Alors que les situations de fragilité des ménages se sont amplifiées au cours des dernières années (…) l’engagement plus systématique des procédures d’expulsion par les bailleurs suscite les plus vives inquiétudes pour les années à venir.


NOTES

[1] Appel radiophonique intégral de 1954 : Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ! Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime » La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci ! Chacun de nous peut venir en aide aux « sans abri ». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents poêles catalytiques. Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.
Merci !
[2] Article du Le Point de 2010 : http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2010-03-09/malaise-des-salaries-d-emmaus-en-greve-pour-la-premiere-fois/920/0/431748


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